L’intelligence artificielle dans les industries créatives : opportunité ou menace ?
Alors que l’IA s’invite dans de nombreux secteurs, une question demeure : comment cette technologie révolutionne-t-elle le monde de l’art et de la création ?
Manuel SAINSILY de manu.vision et Yoane PAVADE de Parallel14 débattront des implications de l’IA pour les artistes.
Est-ce une menace pour les créateurs, ou au contraire, une opportunité unique pour enrichir et diversifier leurs œuvres ?
Manuel SAINSILY | Caraïbeano futuriste et expert en intelligence artifcielle et réalitée augmentée à manu.vision
Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment votre parcours en Guadeloupe a influencé votre vision de la technologie et de l’art ?
Comment cela vous a mené à l’intersection de l’IA et des réalités mixtes ?
“Tout d’abord, ma mère et mon père étant tous les deux des artistes et puis même au niveau du reste de ma famille, j’ai un petit peu baigné dans cet univers-là depuis petit.
J’ai aussi eu la chance d’avoir accès à des technologies assez avancées assez tôt. Tout ça m’a beaucoup influencé à vouloir aller chercher plus loin que juste la consommation de ces produits, mais aussi de leur confection et de l’impact que ça avait sur la société.
À l’âge de 12 -13 ans, je commençais déjà à coder mes propres jeux.”
Quelles sont pour vous les plus grandes opportunités qu’offre l’intelligence artificielle aux artistes aujourd’hui ?
“On parle du terme “intelligence artifcielle” depuis les années 50, c’est un domaine assez vieux.
Il y a beaucoup de débats autour de la légitimité de cette technologie, de l’impact que ça avait au niveau des artistes.
Et évidemment, moi, étant dans ce domaine-là, j’ai été un des premiers à être un fervent défenseur, mais en même temps un curieux. J’ai toujours voulu utiliser les technologies pour aller plus loin. Et à mon goût, on avait une place particulière dans la Caraïbe, une place de force.
Étant justement dans une culture assez unique qui n’a pas vraiment encore eu la chance de briller à l’international à sa juste valeur.
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Lors de mon dernier TEDx, j’ai pu collaborer avec OPDI ou META, donc des grands pionniers dans le domaine.
Et donc mon message, c’était de dire, qu’on a une place unique dans la Caraïbe, on a une culture unique et à travers l’IA, on peut vraiment faire avancer toutes les industries. Il n’y en a pas une seule qui va être laissée-pour-compte.
Et au-delà des peurs ou des enjeux qu’on peut avoir et des vraies questions qu’il faut se poser au niveau éthique notamment, il y a des opportunités, des opportunités que ce soit au niveau du business, mais également au niveau de la culture.”
Vous avez été le premier artiste franco caribéen à collaborer avec OpenIA et l’entreprise qui a fondé ChatGPT.
Comment s’est nouée cette collaboration ?
“Cela s’est fait de façon assez organique dans mon domaine. Dans l’informatique, je travaillais en tant que designer, donc mon travail principalement était de créer des interfaces et de faire de la recherche au niveau des nouvelles technologies.
Et lors de la transition de mon dernier emploi chez IBM, où j’étais directeur des technologies réalité mixte pour le Canada, j‘ai eu la chance de travailler avec Unity, la compagnie pour laquelle je travaille toujours en ce moment en tant que fervent défenseur de la partie responsable de l’éthique et des technologies émergentes.
Et OpenAI, au niveau du freelance, a pu voir du coup mon profil et dans les premiers. Donc ça s’est fait à travers des contacts sur LinkedIn, à travers des emails, à travers ma présence également sur les réseaux sociaux et ils m’ont invité à faire partie de cet alpha test. C’est une espèce de phase avant la release de ces produits-là sur le marché, afin de tester, afin de pousser les limites des domaines et pour voir également quels étaient les enjeux que cela pouvait poser.
Et donc dans ce genre de groupe, il y a évidemment une grosse représentation qui doit être prise en compte pour s’assurer que ce ne sont pas que des personnes, par exemple des hommes blancs venant de la Californie qu’on va avoir dans le groupe. On essaie d’avoir de la diversité.
Et donc c’est important pour moi de représenter ce que je représente au niveau phénotypique mais également au niveau de nos idées, de notre culture.
Et par la suite, travailler avec eux m’a permis de sponsoriser mon exposition à Montréal, Caribéano Futurisme, dans laquelle on a pu utiliser ces outils un peu en avance et les montrer au reste du monde mais également montrer notre culture au monde.”
Quelle est la différence entre réalité mixte et intelligence artificielle ?
« La réalité mixte ce sont simplement des technologies qui permettent de modifier l’aspect visuel de notre environnement, que ce soit avec un casque comme par exemple l’Apple Vision Pro.
C’est un casque qu’on va mettre sur le visage, qui va changer ce qu’on voit autour de nous ou faire flotter des éléments dans notre espace, ou à travers des lunettes qui vont peut-être ajouter des informations comme des sous-titres dans notre langage.
Par exemple, quand vous utilisez votre téléphone, on peut avoir votre adresse internet, votre localisation. On peut savoir des patterns comme la vitesse à laquelle vous utilisez vos doigts pour swiper sur Instagram ou WhatsApp. Mais avec des casques de réalité virtuelle augmentée ou mixte, on va être capable d’aller chercher par exemple le regard, la vitesse des pupilles, parfois même des ondes alpha que le cerveau génère.
Donc ces informations viennent justement alimenter un serveur ou un système derrière qui est beaucoup plus complexe. Et donc avec l ‘intelligence artificielle, on peut recouper ces données et prendre des décisions, au niveau de l’expérience qu’on va offrir à l’utilisateur ou au niveau des données qu’on va exposer aux utilisateurs. Donc pour faire simple, la réalité mixte.
L’intelligence artificielle, c’est un domaine à part entière, mais ensemble, nous ouvrons de totales opportunités en termes d’interface, de gadgets et d’expériences. »
Pouvez-vous nous parler de votre exposition Caribéano Futurisme à Montréal ?
“J’ai toujours voulu avoir un espace où je pourrais montrer ma vision.
Après 15 ans à Montréal, je réalise que notre culture est souvent mélangée avec d’autres îles, les gens connaissent peu ou pas la Guadeloupe.
Et j’ai donc fait ce projet à l’étranger pour nous permettre de briller au-delà même de nos propres frontières.
Mais j’avais aussi envie de montrer même aux jeunes ou à notre population qui reste sur l’île qu’on a une véritable place dans l’univers des nouvelles technologies.
De montrer également que la Caraïbe en elle-même avec sa diversité de population et avec son passé assez douloureux et complexe avait beaucoup à offrir sur la scène artistique.
Cette exposition était gratuite, dans laquelle on servait de la nourriture caribéenne.
J’ai pu collaborer avec énormément d’artistes ; des musiciens, des danseurs, des restaurateurs. Et ça a permis d’attirer le regard sur la question de l’IA à la Caraïbe.”
Comment envisagez-vous l’évolution du rôle de l’artiste dans les prochaines années ?
“L’artiste n’est plus comme à l’époque juste créateur mais maintenant co-créateur. On doit commencer peut-être à réaliser que l’intelligence artificielle devient un peu plus qu’un outil, mais devient aussi un être à part entière.
Certaines personnes s’aventurent à parler de l’IAG (Artificial general intelligence ou AGI en anglais), qui vont devenir beaucoup plus conscientes, qui vont presque devenir même des espèces à part entière.
Ça, ce sont des questions beaucoup plus futuristes et philosophiques. Si on reste terre à terre, en tout cas, ça reste des outils qui commencent à prendre beaucoup plus de place qu ‘on ne le pensait.
Et lorsque j ‘ai fait cet expo, j ‘avais justement cité un poème sur place, qui était inspiré d’Edouard Glissant. Et au final je l’avais modifié en utilisant ChatGPT et les gens sur scène avaient une petite larme à l’œil. Ensuite, ils ont réalisé que c ‘était une IA qui l ‘avait coécrite. »
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« Et donc on peut encore se poser la question, à quoi ressemble un artiste écrivain dans le futur ? À quoi ressemble un peintre dans le futur ?
Et pour moi, c’est cette place de co-création où l’IA rentre dans le processus mais ne vient pas complètement remplacer l’artiste et où l’artiste laisse un espace pour l ‘IA ; que ce soit dans le passage de prototypage au début ou d’inspiration, ou dans l’exécution avec une amélioration de la productivité.
Et je pense que les artistes commencent aussi à représenter beaucoup plus leur culture dans leur travail. »
Beaucoup d’artistes se sont élevés contre OpenAI ou Mid-Journey, car ils disent que leurs œuvres ont été utilisées, sans leur autorisation et sans rémunération.
Comment voyez-vous l’avenir de ce débat ?
“Pour moi, c’est un débat qui est totalement valide et qui est important à avoir.
Mid-Journey est un laboratoire de recherche, qui n’ont aucune valeur de produit à profit, même s’ils font de l’argent parce que les gens aiment leur produit et payent un abonnement mensuel.
OpenAI est un modèle complètement différent qui est une compagnie qui, à la base, était non publique, qui l’est toujours d’ailleurs non publique. Donc, on ne peut pas investir dans leur stock, par exemple, à la bourse.
OpenAI avait une valeur de recherche et d’ouverture et pourtant on retrouve leurs modèles assez fermés et encore une fois avec un abonnement pour pouvoir les utiliser.
Donc moi je suis un grand fervent admirateur de ce qu’on appelle l’open source, donc des outils qui normalement sont gratuits, qui sont ouverts dont le code source est partagé pour qu’on puisse faire de l’audit. Notamment pour s’assurer que ce qui est derrière n’est pas problématique.
Dans le monde de l’IA, chaque jour il a des nouvelles informations sur le domaine. Cela crée réellement un changement de la façon dont même les entreprises dans l’informatique travaillent ou partagent leur travail.
Pour moi c’est plus créer de l’espace où les conversations puissent avoir lieu plutôt que de les fermer et permettre aussi aux entreprises de réaliser qu’il a un vrai besoin de protéger les gens lors de cette transition.
On est sûr que dans le futur, que le travail va complètement être modifié, toutes les industries vont être impactées.
En attendant les personnes qui ont un métier actuel qui sont impactées, quel est leur plan B ?
Comment on fait pour s’occuper des personnes qui perdent leur emploi en temps réel ?
Comment on fait pour éduquer les personnes et leur permettre de modifier leur travail actuel pour qu’ils puissent toujours avoir une existence dans le futur ?
Et ça, c’est une question qui est beaucoup plus politique, qui est beaucoup plus philosophique.”
Yoane PAVADE | Président de la fédération des acteurs de l’image animé de Martinique & cofondateur de l’école d’animation Parallel14
Comment envisagez-vous l’intégration de l’IA dans les industries créatives en Martinique ?
“En Martinique, nous sommes déjà une terre de talents créatifs, que ce soit dans l’écriture, la musique, etc..
Donc aujourd’hui, la question qu’on se pose, c’est comment l’IA peut impacter justement leur travail d’auteur et de créateur ?
Comment peut-on prolonger l’IA dans ce travail de création ? Donc ça veut dire qu’on peut découvrir un auteur par son livre mais derrière comment avec l’IA peut créer une expérience supplémentaire pour justement que l’histoire ou le personnage qu’on a découvert dans le livre puisse du coup continuer à interagir avec.
Aujourd’hui, on peut même acheter pourquoi pas une œuvre virtuelle. Et là aujourd’hui, même sur les œuvres virtuelles, on reste plus sur des œuvres figées, on peut donner en fait la parole.”
Dans votre école d’animation Parallel14 comment avez-vous intégré l’intelligence artificielle dans le cursus de formation ?
Quel est l’impact de l’intelligence artificielle dans l’éducation ?
“Aujourd’hui, l’IA a impacté les professeurs, mais aussi les élèves.
La plupart des logiciels qu’on utilise ont intégré L’IA. Comme par exemple Photoshop qui l’a intégré. Aujourd’hui on peut faire de la retouche en utilisant l’IA.
On est contraint de toute façon dans nos formations, de parler aux étudiants de cet outil. Il faut leur dire par contre que ce n’est pas la solution miracle. L’IA est un facilateur, un co-créateur.
C’est un outil qui peut aider à la décision. Par exemple, j’ai un univers à imaginer pour du jeu vidéo, on peut prompter et l’IA nous fait des propositions.
On se pose ensuite la question de comment on peut récupérer tout ça et là faire ce travail vraiment d’auteur. C’est à dire se l’approprier et comment on va y mettre notre univers caribéen.
On enseigne à nos étudiants les méthodes de création traditionnelles avec les outils.
Et derrière, on va utiliser l’IA pour justement comme un outil en fait d’aide à la décision ou de facilitateur.”
Encouragez-vous vos étudiants à développer des compétences plus spécifiques qui leur permettront de rester compétitifs sur un marché du travail qui sera potentiellement envahi par l’IA ?
“Aujourd’hui, il ne faut pas être dans une politique de l’autruche et se dire, que ça n’existe pas ou que cela ne va pas nous impacter.
Nous recommandons vraiment aux étudiants de s’intéresser au sujet et d’expérimenter.
Encore une fois, ce n’est pas l’outil miracle. Il faut déjà savoir rédiger un bon prompt. Prompter c’est le fait rédiger un texte pour demander à l’intelligence artificielle de générer quelque chose”.
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